A priori, rien d’extravagant chez la discrète Sika Yakou Esther Kagbara, techno-entrepreneure et promotrice de la plateforme numérique Iya. Rien ne la bloque non plus dans son ambition de hisser cette initiative parmi les meilleures du continent. Iya a cette particularité : connecter les artisans aux clients dans un monde qui devient de plus en plus virtuel. A 29 ans, la directrice générale de Sigma Corporation, après environ 5 années passées à la tête de cette entreprise de communication 360°, a encore de l’énergie à revendre.
En congé de maternité, Sika Yakou Esther Kagbara passe discrètement au bureau, chaque fois que de besoin. Entrepreneure dans l’âme, elle ne se sépare jamais de son smartphone. Vêtue d’un Jean bleu qui se marie avec son T-shirt blanc immaculé, la jeune maman souriante et accueillante a certains rendez-vous. Tout ceci, pour développer davantage cette application qui permet d’avoir des artisans en un clic.
Fermeté et rigueur
Pourtant, celle qui vient d’avoir un bébé il y a juste deux semaines, ne laisse jamais ses enfants toucher son téléphone. « On se querelle souvent parce qu’aujourd’hui, les enfants s’intéressent beaucoup à la technologie. Moi je n’aime pas trop qu’ils s’accrochent au téléphone… Un enfant, c’est un enfant. Le moment venu, il aura son téléphone et sa tablette, mais pour l’instant, non. Je pense que le téléphone n’est pas un jouet ». Cette fermeté, Sika (qui signifie littéralement or en Mina) la tient de son éducation. Issue d’une famille modeste, la cousine de l’honorable Innocent Kagbara, député à l’Assemblée nationale n’a pas tout reçu sur un plateau d’argent.
Après sa licence en communication des entreprises et un stage qui s’est achevé en 2016, la dynamique Sika passe par la case « chômage » pendant 2 ans. Sa passion pour la couture, métier qu’elle a appris de sa mère depuis le collège, l’a amenée à explorer davantage le monde de l’artisanat pendant ses temps morts. Mais elle ne regrette pas cette expérience : « ça m’a permis de mûrir les idées et d’avoir un projet bancable. Il fallait que je passe par là pour découvrir le monde de l’entrepreneuriat ». C’est d’ailleurs le déclic qui lui a permis de lancer la même année, Iya, conformément à son rêve d’enfance « d’apporter quelque chose de nouveau au monde et être au service de la communauté ».
« Contre l’entrepreneuriat »
Paradoxalement, Sika s’oppose à cette forme d’entrepreneuriat qui consiste à rédiger un business plan ou un modèle économique pour chasser les financements. Elle s’intéresse plutôt à un « entrepreneuriat prospère : mûrir son idée, bien asseoir les bases et poursuivre sa vision ».
Tout est parti d’une expérience personnelle. Comme pour beaucoup de Togolais, il est difficile de trouver facilement des artisans après un déménagement à Lomé ou dans les autres villes du pays. « Parfois, c’est de bouche à oreille qu’on arrive finalement à en trouver. Mais dans certains cas, il ne finit pas votre travail et va sur un autre chantier parce que quelqu’un d’autre l’a appelé. Ce qui ralentit votre activité. Des fois, quand je reçois un artisan, je prends le malin plaisir à essayer de le noter. En même temps, je prends son contact, quand le travail est bien fait. Ainsi, je me suis constitué un carnet de notes que les voisins ou les membres de ma famille demandaient à consulter. Lorsque les sollicitations ont augmenté, je me suis rendu effectivement compte qu’il y avait un réel souci dans ce secteur », se rappelle-t-elle. Ainsi, son carnet d’adresses a servi à créer la plateforme.
Bilan satisfaisant
Lancée officiellement il y a un an, la solution fait du chemin. Un financement de la Fondation Tony Elumelu a permis de développer l’application Iya qui compte aujourd’hui plus de 500 artisans dans divers domaines. Quant aux clients, ils ne cessent de s’accroître. L’entreprise dispose aussi d’une boutique en ligne pour vendre les objets d’art. Si cette année, le projet a été retenu parmi les 15 finalistes du concours Challenge Startupper de TotalEnergies, la jeune entrepreneure met les bouchées doubles pour se hisser parmi les 3 finalistes, l’année prochaine.
Sur le plan financier, les initiateurs continuent d’investir davantage dans la startup pour en tirer le maximum de « fruits, dans un futur proche ». Avec un capital de 5 millions FCFA, la société maintient le cap.
L’un des défis majeurs que rencontre Iya est lié à son statut juridique. Le Togo ne dispose pas encore de texte sur les entreprises sociales. Mais ceci ne limite pas la startup qui veut s’étendre dans d’autres pays. « Nous ne comptons pas nous limiter au plan national. Nous voulons dépasser les frontières, aller dans la sous-région et faire connaître Iya partout dans le monde, avoir des artisans qui épousent notre idée », explique Sika Kagbara.
Sur la plateforme, les artisans sont sélectionnés selon des critères bien définis. La structure les expérimente ou les confie à d’autres acteurs pour vérifier plusieurs paramètres liés surtout à leur comportement avec les clients. Après ce test, un contrat est signé avec l’artisan s’il respecte les critères. Ils sont ensuite intégrés dans une base de données. « Ce sont des artisans professionnels que nous avons sur notre plateforme…La plupart de nos clients sont satisfaits », précise-t-elle.
La structure veut changer les habitudes de beaucoup de Togolais qui n’ont pas encore le réflexe de solliciter les services d’un artisan en ligne.
Aujourd’hui, en dehors de son travail, Sika consacre son temps à ses trois enfants. Son plat préféré, le fufu accompagné d’une sauce d’arachide avec de la viande de pintade, rappelle ses origines (Sola, dans la préfecture de la Binah, région de la Kara). D’une forme athlétique, elle associe à ses loisirs, la marche qu’elle pratique quotidiennement pour déstresser, mais surtout, reconnaît-elle en souriant : « comme je n’aime pas courir, au moins ça compense le footing ».