Au Togo comme dans une dizaine de pays de la planète, l’industrie du batik représente un segment historique de l’artisanat et de la culture textile. Depuis 2021, Ornela Ezi, une jeune togolaise, a fait de la réinvention de cet art ancestral de teinture, une passion et un sacerdoce.
“IYATAN Collection”, pouvait-on lire sur les nombreux autocollants éparpillés çà et là. A l’arrière de la nouvelle boutique aménagée devant sa maison, Ornela Ezi achevait de poser religieusement le dernier stick à l’effigie de sa marque sur le dernier pagne, avant d’emballer les différents lots.
Après trois jours de travaux continus, une nuit blanche et quelques migraines, la commande était enfin bouclée, prête à être acheminée vers Lomé. La seconde partie du contrat était en passe d’être honorée.
Le périple Adétikopé-Lomé, la jeune femme en avait fait son train-train quotidien, avalant presque chaque jour de la semaine la trentaine de kilomètres du trajet aller-retour entre le nouveau pôle industriel (depuis l’implantation de la PIA, ndlr), du centre-ville de la capitale. Ni la fatigue, ni la météo pas toujours coopérative de cet espace périurbain, n’affectaient de toute façon sa détermination. Le batik, Ornela Ezi en a fait un sacerdoce.
De la curiosité à la passion
Rien ne laissait présager pourtant, quatre ans plus tôt, une telle trajectoire. Après un Baccalauréat, option Littéraire, obtenu en 2020, en plein contexte pandémique (Covid-19), Ornela s’inscrit en Faculté de Droit à l’Université de Lomé. Un choix tout à fait normal pour celle qui s’est toujours vue revêtue d’une toge d’avocat, malgré les énormes difficultés à s’exprimer alors en public.
Le pont vers le monde de l’art textile et des nuances chromatiques sera réalisé un an après, à la faveur d’une formation exclusivement dédiée aux jeunes filles. Ornela, qui s’essayait depuis quelques temps déjà au monde de la décoration, y fait la connaissance d’un spécialiste du domaine du batik, issu lui-même de l’école d’un maître en la matière, Ayaovi Atobian, que Togo First avait déjà rencontré en 2018 lors d’une immersion au Centre d’art Tayé Tayé.
Un passage au sein de ce temple voué à la création artistique et une seconde formation beaucoup plus approfondie plus tard, et la jeune femme se convertit définitivement.
“Une ode à la nature”
Désormais outillée, Ornela va se jeter à corps perdu dans cette nouvelle passion. “J’ai toujours aimé créer des choses, et avec les choses que j’ai apprises, j’étais parfaitement dans mon monde”, raconte-t-elle.
Les débuts sont difficiles. Les maigres économies partent dans l’achat de tissus au marché, puis, l’inspiration fait le reste. Le processus en lui-même est un rituel précis : définition des tons et préparation des couleurs, application de la cire, immersion, rinçage, retrait, séchage, une mécanique réglée.
Dans le garage paternel réquisitionné et reconverti en atelier, Ornela manipule dans le respect des matériaux, un nombre d’outils indispensables à la transformation du pagne : gants, bassines, masques, teintes, bougies…, et laisse la magie opérer.
La nature sert de muse, les arbres, le ciel étoilé, les éléments de l’environnement se retrouvent transposés dans les œuvres.
“Chaque pièce de batik pour moi est une ode à la nature, un tableau où s’harmonisent l’art et l’artisanat, tissé des motifs et de symboles”, poétise-t-elle. Et au moment de baptiser ses créations, la native des Plateaux ne cherche pas loin : IYATAN Collection.
“IYATAN vient de la langue Ifè parlée dans la région des Plateaux, plus précisément à Atakpamé, et veut dire ‘la souffrance est finie’, et COLLECTION pour exprimer la diversité des motifs et des couleurs”, explique-t-elle.
L’âge, un atout et un handicap
Les premières créations prêtes, survient le premier écueil : trouver une clientèle et la fidéliser. Ornela, qui a pris le soin de ne porter désormais que ses œuvres, multiplie les approches et les échanges avec les particuliers.
Mais l’âge devient rapidement un handicap : “J’avais à peine 20 ans, c’était déjà un peu difficile de convaincre les responsables ou personnes âgées à essayer ou adopter mes produits. On me trouvait trop jeune pour être prise au sérieux”, se souvient-elle.
La persévérance finit par payer, lorsque les responsables municipaux de sa commune la remarquent et passent commande. D’autres défis de taille comme la pénurie de main-d’œuvre, la méconnaissance du grand public sur la fabrication du batik occasionnant des demandes difficiles à satisfaire, les difficultés d’approvisionnement en matières premières, surgissent, mais la jeune femme au caractère bien trempé n’en a cure.
“Ces obstacles n’ont fait que renforcer mon esprit d’entreprise et me permettent d’ailleurs de développer des compétences en management, marketing, leadership et branding”, confie-t-elle.
La reconnaissance
Consciente de la place prépondérante des foires et expositions dans le paysage commercial togolais et particulièrement dans le secteur artisanal, Ornela multiplie les apparitions aux manifestations foraines à Lomé, et parfois en dehors. C’est d’ailleurs lors de la dernière édition du Marché international de l’Artisanat du Togo (MIATO 2023), qu’elle est distinguée, en raison de son très jeune âge.
Ce prix d’encouragement fait l’effet d’un spot de lumière. Les commandes affluent, venant désormais de diverses couches de la population, ce qui amène la jeune promotrice à diversifier ses productions : “Nous avons deux clientèles cibles. Premièrement, les amoureux du pagne Batik, ceux qui aiment avoir leurs touches uniques sur les créations, et deuxièmement les entreprises, écoles, associations et autres structures à qui nous offrons la possibilité de personnaliser leurs pagnes en y mettant leurs propres logos ou un texte. Elles peuvent elles-mêmes choisir les couleurs du pagne”.
Entreprises privées, restaurants, écoles privées entre autres, rejoignent le phénomène IYATAN qui séduit un peu plus.
Confiante, Ornela, jusque lors discrète sur les réseaux sociaux, se prend à communiquer davantage.
Promotion et distribution
Ornela a su habilement utiliser les réseaux sociaux et les plateformes en ligne pour promouvoir ses produits. “En attendant d’avoir des ambassadeurs reconnus, nous essayons de nous faire connaître sur Instagram, Twitter, Tiktok, mais aussi sur Coin d’Afrique, une application de marché en ligne”, indique-t-elle.
Le reste est confié aux acteurs du réseau de distribution, qui, lors des livraisons, s’efforcent de dévoiler un peu plus les activités de la jeune pousse.
S’ancrer durablement
Désormais bien investie, Ornela rêve grand : devenir une référence dans le domaine du batik au Togo, collaborer avec des organisations nationales et internationales, et ouvrir une boutique de prêt-à-porter.
D’ailleurs, souffle-t-elle, la prochaine étape est la création d’une ligne de vêtements (chemises et robes en pagne batik) accessibles à tous, où chaque client trouvera son goût.
“Je veux tisser des rêves à travers le batik”, conclut-elle, des étoiles dans les yeux.
Source : Togo Firs